Cher Félix,

Je comprends que tu ne m’avais pas prévue.

 

Tout d’un coup, la vie qu’on n’aura pas eue défile devant mes yeux. Tout d’un coup, ta présence disparaît, comme si t’étais mort, mais t’es pas mort, t’es vivant, t’es dans la même ville, on pourrait se voir mais on se voit pas parce que tu ne me veux plus.

Tout d’un coup, je peux plus aller nul part, je peux plus rien faire, parce que tu es partout mais tu n’es plus avec moi.

 

Je pense que c’est pire que si t’étais mort. 

 C’est comme si tu te souviens de rien.


Te souviens-tu de la fois où on regardait Fargo à mon chalet? Seuls, dans le bois. T’avais un gin tonic dans ta main gauche et ta main droite sur mes jambes qui embrassaient ton corps.

La lumière bleue dansait sur ton visage.

Te souviens-tu de la fois où je t’ai chanté des chansons country tristes dans ma cuisine? On avait bu et je chantais comme un pied, mais j’étais heureuse, et tu me trouvais belle.


 Cher Félix,

J’aimerais être vierge de toi.

 Cher Félix,

Un couple est un système clos.

C’est la veille de mon départ. Tu me laisses les entrailles déchirées et tu refuses de me donner une raison. Il n’y a pas de raison, que la raison. Dieu n’existe pas. Le destin n’existe pas. Voici ce qui existe : l’entropie. Le système clos dégénère. N’importe quelle secousse l’affecte. Il dépend de trop de conditions pour rester stable.

J’ai mal. Je souffre. Je veux plus. Tu considères ma demande. Tu es anesthésié, puis tu te retournes, puis tu t’en vas, puis plus rien. C’est terminé. Bonne soirée Clara. Je te retiens, tu me repousses.

Va-t’en pas, je te supplie, parle-moi.

Tu me regardes avec un monstre dans les yeux. C’est fini, tu vocifères, arrête de me retenir, laisse-moi aller, c’est fini, lâche moi. Je refuse de te quitter, mes ongles creusent des trous dans ta peau, reste avec moi, Félix, tu peux pas me laisser comme ça. Tu me hurles que je suis comme les autres, que je m’attache comme toutes les autres, que tu vas me faire mal comme t’as fait mal à toutes les autres. Washington c’était une bulle, tu me craches. Ça a assez duré, maintenant c’est terminé. Bonne soirée Clara.

On a passé un weekend ensemble, à Washington.

 

Après l’amour, j’ai dit : qu’est-ce que tu veux? J’aurais voulu dire : Est-ce que tu m’aimes?

T’étais pas capable de me répondre. J’ai dit montre le-moi si tu peux pas me le dire. On était couchés aux extrémités du lit king et après un moment t’as étendu ton bras vers moi pour me flatter. T’avais des larmes dans tes yeux.

Plus tard, tu m’as dit que t’avais peur de mon départ.

C’est une coïncidence.

Le cadran affiche l’heure d’atterrissage du vol que tu n’as pas pris. 27 mars 2019. Tu m’épuises. Je ne te veux plus. Paris aurait été plus belle avec toi.

C’était un amour calme, mon amour pour toi. C’était un amour tendre, un amour timide. Il n’y a pas eu de grand chamboulement. La Terre ne s’est pas scindée dans le milieu, elle n’a pas quitté son orbite pour cause de distraction. Je t’ai aimé au quotidien, dans les détails de ta routine qui ne m’incluait pas. Je t’ai aimé sans idylle, sans lune de miel, je t’ai aimé parce que je t’ai choisi et même si tu ne me choisissais pas.

Cher Félix, 

Il n’y a pas de catharsis.